On ferait appui de ses mains, le dessus du crâne, à quelques centimètres en avant — disons la longueur d’une main —, recevant, après les vertèbres, tout le poids du corps ; les jambes, deux tiges cherchant approximativement, périlleusement, la verticale vers le haut de l’édifice, les abdominaux gainés. Et d’une poussée sur les bras, décollant la tête du sol pour, avec le sang dans les tempes, donnant l’impression de boursoufler le front et les pommettes, les paupières alourdies, au prix d’un effort monstrueux, pathétique, la poser brutalement quelques centimètres plus loin, ramenant, chancelant, les mains au plus près, en accusant le choc. Alors, les paumes des mains endolories, il faudrait tendre les bras à nouveau pour soulever le crâne, comme mâté par le contact du sol, le cuir chevelu incrusté de gravillons, luttant pour garder le reste du corps vertical, et d’une décharge à nouveau porter sa tête un peu plus loin en avant, mâchoire serrée sous le choc sourd, cervicales raidies, ramenant les mains en trépied pour l’équilibre, le visage de plus en plus rouge et asphyxié. Toujours en position d’arbre droit ou de poirier, nous nous serions déplacé de quelques centimètres, dans une direction mal définie, tentant de récupérer notre souffle avant de rassembler nos forces à nouveau, accusant, abruti, ébranlé, le choc crânien, sa réverbération.
Ce serait ça, à peu près ; une lente, douloureuse, absurde, pathétique gesticulation : on marcherait sur la tête.
Alors que le manque de pluie a placé plusieurs départements en stress hydrique, les nappes étant au plus bas, les coupures d’eau guettant, certaines communes ont publié un arrêté en ce début d’été, visant à restreindre les usages d’eau. Il y est précisé que les particuliers ne devront plus arroser leurs potagers, l’accès à l’eau des jardin ouvriers publique étant coupé, et que les piscines ne devront être remplies (les chaleurs la journée provocant une évaporation de plusieurs dizaines de mètres cubes d’eau) qu’au soir, entre 20h et 8h, de même que les stades et les terrains de golf. Quid du lavage hebdomadaire des voitures ?
Ici et là les agriculteurs témoignent de difficultés, sècheresse, perte de rendement, en raison des vagues de chaleur. Réserves s’évaporant, forages à sec. On prévoit, le tour de France débutant, d’arroser les routes, dont le goudron atteint à certaines heures de la journée plus de 70 degrés, dégageant des vapeurs âcres, pour la sécurité des coureurs et pour éviter le ressuage, c’est-à-dire la fonte superficielle du bitume.
Ici et là des mairies avisées décident de couper des arbres dont la chute des feuilles sur la chaussée provoque une surcharge de travail pour les agents municipaux. D’autres envisagent de couvrir d’une chape de béton des portions de cours d’eau, gagnant ainsi des surfaces de parking en s’épargnant le spectacle approximatif d’une végétation ripisylve gagnant le béton.
2020 témoignait encore d’une augmentation constante de l’artificialistation des sols en France. A l’échelle mondiale, la déforestation se poursuit, l’équivalant d’un cinquième de la surface de la France étant abattu chaque année, principalement en Amérique du sud, Afrique et Asie.
Après une période critique due à l’épidémie de covid et aux confinements, les déplacements estivaux reprennent. Les français retrouvent les vols moyens et longs courriers. Et malgré l’augmentation inédite du coût de l’essence, les autoroutes du pays retrouveront cet été les traditionnels bouchons estivaux. Le marché des SUV et des climatiseurs se portent bien. Puisqu’on a chaud, on refroidit son salon, peu importe que le procédé concoure à augmenter en un cercle vicieux la température extérieure. Au besoin on tournera un peu plus le bouton, et encore un peu plus.
Personne ou presque ne respectera la limitation de vitesse de 20 km/h due aux alertes pollution déclenchées par la chaleur. On cherchera encore à augmenter notre pouvoir d’achat, à consommer toute sorte de gadgets produits loin et à bas coût grâce à l’exploitation d’une main d’œuvre prolétarisée quand elle n’est pas simplement esclave et une exploitation éhontée des ressources naturelles. La consommation de divertissements, d’hi-fi, d’électroménager, le partagera à celle de séries télévisées accessibles en streeming puisque les abonnements netflix et disney+ gagnent constamment depuis les derniers confinements des parts de marché. A combien contribue un data center au réchauffement en cours ? A la consommation électrique ? On continuera de s’échanger des blagues, des vidéos, de trainer à chaque occasion, lorsque nous n’aurions plus qu’un seul pouce de libre, à un arrêt de bus, dans une file d’attente ou à table, sur les réseaux sociaux.
Oui, quand bien même ce serait sur la tête, de plus en plus inconfortablement, on continuerait de marcher comme on a toujours marché. Effrontés, entêtés, têtus, se plaignant encore, au comptoir, à qui voudrait bien nous entendre, des conséquences de nos actes.
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