La direction artistique et scénographique de l’Abbaye – Espace d’art contemporain a de nouveau été confiée à la Fondation pour l’Art Contemporain Claudine et Jean-Marc Salomon jusqu’en 2024. Une perspective qui permet aux équipes de poursuivre les dynamiques mises en place lors de ces dernières années et de prolonger cette mission de diffusion de l’art et de la création contemporaine envers un public aussi large que possible. Dans cette préoccupation omniprésente de l’accessibilité des publics aux expositions, notamment les scolaires, nous avons choisi de travailler autour d’une thématique. Cette thématique est large, mais elle permet aux médiateurs et aux intervenants de construire un discours et de faciliter la mise en place de projets éducatifs tout au long de l’année. Le cycle 2023 sera placé sous le thème de la figure et du paysage dans la peinture. La peinture reste un médium très présent chez les artistes contemporains. L’univers pictural d’Iris Levasseur est un curieux mélange de pesanteur et de légèreté, de réalité humaine et de rêves. Chez Marc Desgrandchamps, les figures humaines deviennent fantomatiques et se fondent dans un paysage onirique où le temps parait suspendu; alors que Jérémy Liron est quant à lui un peintre de paysage où le détail et le cadrage poussent le spectateur à une certaine contemplation. Ce cycle de trois expositions pour l’année 2023 permettra d’offrir à tous les publics des expositions à la fois sensibles, esthétiques et intellectuelles. Le premier volet de ce cycle est consacré à Jérémy Liron. Né à Marseille en 1980, Jérémy Liron vit et travaille à Lyon. Diplômé de l’École des Beaux-arts de Toulon, puis de celle de Paris, agrégé en arts plastiques, Jérémy Liron mène de front une carrière d’artiste, d’écrivain et d’enseignant. La peinture figurative et évanescente de Jérémy Liron se déploie en grande partie par séries. Celle des Landscapes, ou Paysages, qu’il travaille depuis plus de dix années représente des architectures modernistes presque toujours cernées d’une végétation touffue et verdoyante qui se détachent sur un ciel bleu limpide. Ses tableaux souvent de formats similaires sont composés selon une géométrie sensible assortie d’un certain minimalisme dans le recours aux lignes de fuites et de plans frontaux. De subtiles jeux de lumière se jouent grâce à la qualité variée de la gestuelle du peintre qu’est Jérémy Liron : dans le choix de ses couleurs et la manière de les poser, en choisissant de recouvrir la toile ou de la laisser nue à certains endroits. L’artiste insiste sur le fait que ses peintures ne sont pas des architectures’ mais bien des ‘paysages. La nuance est importante : ses œuvres littéralement nommées s’inscrivent dans une histoire de l’art, héritée notamment du XVIIIe siècle, où la nature paysagée représentée était une construction humaine qui oscille entre relevé géographique et interprétation fantaisiste. Car c’est bien de cette façon que Jérémy Liron travaille.
Ses paysages à l’apparence idylique sont le résultat d’errances et de promenades : il arpente. collecte et recompose pour recréer ainsi une réalité qui n’existe pas vraiment. Mais ce qui intéresse Jeremy Liron dans ce jeu paradoxal entre paysage urbain et végétation, c’est ce qu’il suggère lors de sa contemplation : un espace pictural et mental tridimensionnel d’où se dégage une sensation impalpable proche de la mélancolie ou de l’inquiétude que l’artiste nomme « sentiment de présence ». Dans les paysages de Jérémy Liron le temps y est comme suspendu. L’effacement de tout indice contextuel et l’absence totale de figure humaine dans son travail évite et empêche toute narration. La peinture figurative de Jérémy Liron a pour but de déconstruire la réalité qu’elle prétend représenter. Chaque tableau devient alors un objet de contemplation et un support au rêve pour laisser le spectateur divaguer dans ses pensées. La série des Paysages se parcourt comme un enchaînement d’arrêts sur images où la puissance dramatique et l’attention portée au cadrage en disent long sur l’affection que porte l’artiste au cinéma : « Comme un repérage pour un hypothétique film […] où toute fiction s’évanouit ». Les sujets se répètent et les tableaux se répondent sans jamais être identiques. Les variations sont infinies et les peintures de Jérémy Liron sont comme imbriquées les unes aux autres. Une mise en abîme que l’artiste a souhaité retrouver dans la scénographie de cette exposition. Le lieu si particulier de L’Abbaye est investi par Jérémy Liron de manière labyrinthique où la déambulation habituelle des visiteurs est entravée. L’artiste joue avec les circulations en enchâssant ses œuvres directement au sein de l’architecture pour jouer le polyptique à la manière d’un retable déployé à l’échelle de l’espace d’exposition. Dans ce parcours s’invitent Les Archives du Désastre, une série de dessins initiée en 2015 et qui compte aujourd’hui près de 400 pièces. Ces dessins à la pierre noire voiles d’une couche de peinture vert de Hoocker recueillent un ensemble de figures spectrales qui sont les reliques d’un désastre, d’un changement d’astre, qui eut lieu avec la vague d’attentats terroristes durant la dernière décennie. « Une forme de traveling lent et sourd à travers les paysages de la mémoire ». Les œuvres de Jérémy Liron sont aujourd’hui présentes dans de nombreuses collections privées et publiques, parmi lesquelles le Musée Paul Dini, l’Hôtel des Arts de Toulon, la Fondation Colas, la collection de la Société Générale, les collections des villes de Lyon et Vénissieux, ainsi que plusieurs artothèques en France. Jérémy Liron est également l’auteur de nombreux ouvrages littéraires et poétiques. Portant aussi bien sur sa propre pratique de peintre que sur le travail d’autres artistes.
Jean-Marc Salomon Directeur Artistique de l’Abbaye-Espace d’Art Contemporain