2013 – Architecture éducation nationale, par François Bon d’après Paysage n°96.
Quand d’un bâtiment dehors et dedans tu connais tout et pourtant sans savoir quand d’un bâtiment dehors et dedans tu reconnais toutes les villes et tant d’heures et les marches de carrelages et la lumière dépolie des fenêtres sur l’escalier et le rugueux des poteaux en pilotis de ciment sur l’avant du préau tu saurais même rien que sur la toile trouver le chemin des toilettes et pourtant et pourtant et pourtant non ce n’est pas celui-ci c’est juste un souvenir et tu fais la liste tu déplies pour ce qui te concerne et le baraquement préfab de ta sixième mais après les incendies d’autre pailleron ils avaient accéléré la mutation c’était donc pour ta rentrée de quatrième et au lieu des garçons en cinquième dans un coin de la ville et les filles dans un autre voilà vous étiez en-semble dans la même classe mais qu’est-ce qu’elle en sait l’image elle n’en sait rien l’image elle s’en fiche de toi l’image plus tard ils ont appelé le collège camille-claudel mais les deux ans que tu y as fait il n’avait pas de nom c’est toujours un peu étrange les noms donnés aux écoles aux collèges ça échappe plus ou moins aux massacreurs de toponymes qui plantent leurs panneaux rectangulaires avec logo jumelage ou ville fleurie et les noms de lotissements des noms d’oiseaux des noms de villes des noms d’arbres des noms de rien mais rien quand les rues des centre-villes sont mangées par les anciens maires et autres notables de canton les écoles s’amusent c’est aussi parce que leurs angles et lignes droites ne leur en ont pas trop laissé liberté je ne sais pas je ne sais pas s’il y a une qualification spéciale architecte de l’éducation nationale ou si simplement ce sont des normes reproductibles qu’on monte comme des lego qu’est-ce qu’il leur reste pour s’exprimer la taille rectangulaire d’un fronton placé devant la ville comme si on allait leur faire le cinéma d’eux-mêmes et le pignon en retrait c’‘est là où on habite ceux des escaliers du bâti-ment en retrait n’auront pas grand chemin à faire pour venir et si on pouvait pousser le bâtiment hors cadre à droite on apercevrai le gymnase et la cour de récré transformable en terrain de hand-ball et les grilles toutes ces installations font leur nid dans la ville une fois seulement qu’on les y enferme les marchands de grillages et grilles ont fait fortune dans nos villes et pourtant et pour-tant et si chaque chose était aussi son contraire qu’à prendre à gauche au fond du préau en laissant le recoin des poubelles dans le local de service on monte l’escalier on tombe sur le grand cou-loir avec porte-manteaux et les deux rangées de classe sont sage-ment dans la lumière et l’odeur de la craie et l’armoire au fond avec des bricoles dedans un tableau des prises de courant des tables et le rideau décoloré ou le store sans doute en bien mauvais état déjà ou carrément à pendre de travers et les gros radiateurs au-dessous fonctionneront de toussaint à pâques et peu importe si soleil ou froid en variations tout ici est droit comme les poteaux et fenêtres si c’est vertical droit comme toit et muret si c’est horizontal juste ce juste ce qui juste ce qui n’était pas prévu c’est les flaques je les aime ces flaques il y avait ces graviers que même de très loin on sentait sous les pieds ça aussi c’était si éducation nationale on arpentait ces allées à cinq heures après avoir été cher-cher la tartine de pain plutôt ramolli mais c’est la quantité qui compte et la vache qui rit qu’ils donnaient dans des paniers aux internes à la sortie des cours moi quand je reconnais ça ces angles ces fenêtres ces couloirs c’est pour y avoir dormi y avoir vécu m’y être battu avoir fait des bêtises et surtout rêvé on rêvait assis dans les classes avec les mots des maths et on rêvait assis aux heures d’études parce que simplement il fallait tenir là sans bouger et trois bouquins dans son casier l’herbe était un peu mitée mais avec arrosage de service ça ressemblait à une vraie pelouse mais là non là c’est toi qui tombes il y a des coulures il y a une autre toile sous la toile tu t’étais trompé c’est un tableau comme le portrait de louis xiv n’était pas louis xiv mais un tableau pour-quoi alors une affinité si forte tu avais oublié la peinture parce que ce qui t’est montré t’appartient c’est toi rien que toi dans la ville et tes souvenirs de la ville le type qui a peint avec l’herbe il s’est amusé non ce n’est pas de l’herbe pas une flaque et le préau là-bas qui te dit que c’est préau ou cantine ou même rien du tout pourtant lui le ciment qui porte les ombres le ciment qui est le film permanent des coulures de la ville le ciment il n’est pas peinture tu te dis et te redis il y a rectangle il y a ouvertures calibrées et tout c’est forcément signé éducation nationale c’est forcément signé toi qui dans tes souvenirs monte l’escalier de carrelage jaune pousse les autres dans le couloir qui résonne ou bien en est poussé et puis accrochant ton anorak à l’époque on aimait ça les anoraks maintenant ça ferait trop polaire ou machin de ski on a un peu oublié comment nous école et collège on venait avec ces anoraks amincis usés tu regardes à nouveau la composition des horizontales et verticales dans la toile tu voudrais ne voudrais pas la redresser si c’était une photo tu l’aurais fait mais justement pas on t’impose ici des obliques qui n’en sont pas ça pèse sur la gauche et le centre de gravité c’est les deux taches plein noir qui dans ton souvenir ne sont rien en tout cas rien d’identifiable rien que juste la couleur noire comme tu saurais aussi bien dire de ceux de chaque couloir éducation nationale pris à chaque saison de vie et sous chaque toit plat technique avec ses feuilles aluminées bitumées collées à chaud sur les dalles jointoyées puis cou-verte couche gravier stérilisé pour régulation thermique et évacuation plus progressive des eaux de pluie les noms de tous ceux saison par saison qui maintenant sont tes morts les architectures éducation nationale sont les tenseurs dans la ville qui garderont le nom de tes morts pour plus tard à travers les bousculades les porte-manteaux et l’ordre rigide de ce qui se refait à chaque heure la salle des profs est avec la photocopieuse on n’en avait pas à l’époque on n’aurait même pas su ce que c’était à l’époque au fond du préau sur la droite là sur le bord de l’image peinte et toi tu le vois maintenant le type il passe dans la rue tu ne sais pas s’il passe là tous les jours s’il rejoint un atelier ce qu’on dit atelier une pièce louée avec de grandes vitres et une table sur tréteau et pas grand-chose d’autre il lui faut sinon les heures ou pourquoi pas lui-même se rendant dans autre architecture éducation nationale un collège une école et qu’il se fond à la même vie civile que nous tous ou bien s’il est venu dans la ville spécialement pour y photographier parce que c’est une zone de la ville qu’il connaît mal ou bien parce que lui-même comme toi tu marches ici dans les saisons de ton enfance il cherche à rattraper les siennes le type s’est arrêté au coin du grillage il a passé son appareil-photo entre deux tiges de métal peintes blanc puisqu’il n’y a pas de grille ni grillage sur l’image alors qu’elles sont règlementaires et tout aussi normalisées ce qui lui a fait déclencher sa photographie est-ce que c’est les signes qui disent le dedans ainsi la suite des fenêtres aux deux étages et les pilotis de ciment dessous ou cette convergence des deux rectangles celui vertical du pignon à jardin comme au théâtre on dit pour ne pas dire ce qui ne veut rien dire dire sur la gauche de l’image la convergence du pignon vertical à jardin de la dislocation progressive des signes à cour et puis plein centre le rectangle horizontal dédoublé d’autres rectangles le pignon de l’école plein face puis qu’à partir de la convergence des deux rectangles qu’il aurait photographiée donc maintenant dans l’atelier il pose directement à la peinture à l’huile l’allée puis le mur enfin les taches noires et qu’à partir du moment où sont venues les deux rayures noires sur la toile le peintre sait que l’image tourne qu’elle est un vertige un tourbillon un enfoncement ou plus rien de ciment n’existe que taches pour la flaque taches pour les pelouses mitées de nos mémoire rien que la netteté qui survivra des deux rectangles et leurs ombres le haut pignon vertical à jardin le pignon horizontal dédoublé d’autres rectangles à face et comme suspendu en l’air à ce prix la peinture pour dire la ville et à ce prix pour dire la ville et le banal de la ville et les géométries de la ville et la ville de nos usages et la ville usée par nos usages et ce que chaque signe qu’on identifie porte de mémoire de nous-même la négation de la vue la négation de la réalité reproduite la mort assignée au dessin à l’aquarelle à la photographie qui ont été les outils des voyageurs et des peintres parce qu’on annule tout ça, dans le silence d’un atelier pris au même ciment et où même le bruit en arrière-fond d’une de ces musiques d’aujourd’hui un rock’n roll pourquoi pas à cet instant et mis très bas fait que le peintre sur sa toile reprend les vieilles techniques de la peinture à l’huile pour écrire sa propre histoire en faire sa propre architecture que nous on y reconnaît une architecture éducation nationale mais que c’est tout simplement peinture.