L’amour désigne dans les métiers de l’impression la qualité du contact entre la matrice et la feuille qui déterminera la qualité du tirage. Dans le livre de Sabine Huynh publié aux éditions Aencrages & Co, si l’on apprécie les qualités sensuelles de l’impression typographique, le foulage des caractères dans le papier, les petites imperfections d’encrage qui témoignent de l’artisanat de l’entreprise, il est d’avantage question de frôlements et caresses que de gestes appuyés. Et, gageons que l’autrice, polyglotte, traductrice, amoureuse des mots et de ce qu’ils trahissent non seulement de pensées mais aussi d’attitudes, de postures, c’est-à-dire de corps, n’ignore pas que le vocabulaire de l’édition caresse aussi la fleur des pierres lithographiques, au grain extrêmement fin, ou celle du papier dans toute la gamme de ses textures comme l’on goute la fleur d’une peau. En un objet, en un texte, Sabine Huynh couche ensemble le corps et la langue, leur contact exploratoire : « parler peau ». Avec beaucoup d’émotion le livre est introduit par le témoignage de Philippe Rahmy. Témoignage de souffrance, mais aussi d’intensité solaire, et ce même mouvement salvateur : « la transformation du corps en langage ». N’est-ce pas là un des plus, si ce n’est le plus impérieux mouvement de la poésie ? Exfiltrer le corps de son indicible sensible, de son animalité, et, d’un même mouvement, inquiéter le logos qui loge dans le langage, y inséminer la sensation, la sensualité, la corporéité. Bref, nouer, mêler le corps et la langue dans un langage métissé. Les « rapprochements physiques » évoqués font alors comme une cabane, une île dans la ville, ou pour reprendre la terminologie de Michel Foucault, une hétérotopie. Et ce qui pourrait demeurer privé, retranché dans l’intime, en dehors du langage insiste : « il y a tant à dire » sur l’aventure du corps, des corps. Sur l’émotion. Et c’est un réveil du corps dans la langue. Un travail de fouilles et d’innocence. Jusqu’à trouver dans l’expérience cette convulsion que Breton appariait à la beauté nouvelle. « Il n’y a que parler nus nos silences s’étreignant » et ivresse alors, plus Dionysos qu’Apollon. Le corps livré est un livre ouvert. Simple, comme l’étymologie nous rappelle la parenté du livre et du pli, sim-plex. Mentalement on fait des liens et à ce Parler peau on pourra tantôt accorder Des rendez-vous, d’Isabelle Bonat-Luciani, aux éditions Les inaperçus, même diffraction sensuelle : « comme nous étions fragmentés, tantôt démultipliée sous tes doigts tantôt réunie par la langue », et pour un passage reviendra en mémoire Je, d’un accident ou d’amour, de Loïc Demey, aux éditions Cheyne, sous l’influence de Ghérasim Luca quand la langue s’emballe, s’affole en crêtes ou surgissements lacunaires : « La rue se lune, le ciel se nuit. Je la nue. Elle me peau, je la pulpe des doigts. On s’épiderme ». Philippe Agostini, par quatre interventions plastiques ponctuant le livre aura traduit l’effleurement et le contact, la caresse et le grain, les sensations brouillées.
Les éditions : https://www.aencrages.com/
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