Mengzhi Zheng, labitat, hétérotopie

Toujours l’architecture nous rappelle à ce qui loge en elle de nous. Nous attire tout près ce qui en elle tient de l’abri, lié aux sensations premières que dans l’enfance on rejouait dans les draps des lits, sous les tables ou dans nos cabanes. Quelque chose se courbe et se clos, s’équilibre, s’ajuste jusqu’à dessiner dans l’espace un lieu fragile où pourrait loger une part de ce que l’on projette de soi qui sera toujours pour le corps le lieu d’une origine. Quand même ce ne serait qu’une esquisse, qu’une ébauche, qu’un semblant répétant en échos cet archétype qu’enfant encore on associait au mot « maison » avec son toit double-pente, sa base carrée, fenêtres de part et d’autre de la porte et cheminée fumant. Et dans le nouage des mots et de l’image se dresse sur les dessins et dans l’imaginaire comme un personnage à égalité des parents, un des piliers de son architecture propre, ce qui sera un des constituants du foyer : la figure de la maison. Et ce n’est pas tant dans l’architecture alors l’art plastique de l’édification, l’ingénierie que l’on retient que cet « art de clore et couvrir des lieux » que son étymologie désigne. Et même, dans ce que l’on reconnaît comme d’antiques temples ou sanctuaires, l’art de fonder des lieux de projection, de circonscrire ou localiser des espaces symboliques.
C’est cela qui travaille peut-être d’abord lorsque l’on s’approche des maquettes ou des chimères qui ponctuent l’exposition de Mengzhi Zheng à l’URDLA. Cette façon qu’elles ont de modéliser ce que Foucault appelait un hétérotopie. Un pays sans lieu, ou plutôt un contre-espace, un ailleurs inscrit dans nos lieux les plus familiers. Et chaque construction serait comme un geste, une forme de geste pour approcher ce lieu au bord ou en amont des mots, l’inconscient qui hante nos récits. « Labitat », comme titre l’exposition, évoque irrésistiblement alors la « lalangue » de Lacan. S’y joue singulièrement cette absence de temps, ce brouillage, cette atemporalité qui marque le découpage des hétérotopies et qui les abstrait de l’espace continu pour en faire des expériences singulières isolées. C’est en ceci que ces architectures ont quelque chose du bateau peut-être, et à les voir disposées à différentes hauteurs, échelonnées dans la perspective du regard on a peu de difficultés à les assimiler à une flotte de caravelles tutoyant l’horizon, projetées dans ce espace entre deux, transitoire, flottant, de l’aventure, au découplage de l’imagination. La structure brute « pli/dépli » que l’on traverse dans l’exposition produit ce même effet de renvoyer moins à un abri qu’à une intention, une idée d’espace, c’est à dire à un lieu. Que le cirque que forme l’espace d’exposition mène ainsi de cette construction spatiale pénétrable que l’on expérimente comme un passage à une construction similaire mais à échelle réduite ne fait qu’exacerber cette sensation de quelque chose qui ne se situerait pas tant dans l’objet ou dans sa représentation mais quelque part dans la respiration qui mène de l’un à l’autre, dans l’impossible adéquation entre l’expérience et son expression qui éveille à l’expression poétique.
Outre les échos colorés, c’est une dynamique semblable qui semble animer les cinq linogravures présentées en pendant des volumes. Autant de formes simples, comme issues des rêves de Malevitch, d’El Lissitzsky, semblant à la recherche d’accords, se frottant, s’emboitant, s’interpénétrant, se juxtaposant légèrement, tirant profit de ce qui d’ordinaire en impression serait la marque d’un défaut. Un petit lieu se fait dans la rencontre ou l’évitement de deux espaces où le temps s’écoule différemment à la faveur de l’attention qu’il a sollicité. Une hétérotopie peut-être là encore.

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