Deux hommes, père et fils s’envoient des images accompagnées de quelques mots. Au fil des jours se fait un dialogue, se manifeste ce que c’est qu’entendre, que lire. Tous deux ont une pratique picturale, une solide attention à l’art. Le père est reconnu comme une figure majeure de la littérature contemporaine, un passeur de regards, il s’appelle John Berger. Pas de grands développements, ni de grandes théories ici, juste un échange, un dialogue privé, intime, fait d’anecdotes et de mises en écho, touchant dans ce qu’il livre ou effleure d’à la fois très simple, très quotidien et de longuement mûri dans la fréquentation assidue des œuvres et dans la pratique.
« J’essaie souvent d’intégrer de l’or à mes tableaux. Pas du vrai : celui que j’obtiens grâce au pigment appelé iriodin. Une fois appliqué, il brille différemment selon la lumière et l’angle de vue. J’essaie souvent, mais ça marche rarement. L’effet demeure artificiel. Dans ce sens, le doré fonctionne comme les idées en peinture : on n’a une chance de réussir que si on accepte d’y renoncer ».
Je pense au livre de Gracq « en lisant en écrivant », non pour la langue ou le contenu, mais pour la méthode si je peux dire. Discrètement, sans posture s’offre une véritable plongée dans la peinture entant que mêlée de pratiques : celle que l’on fait, celle que l’on regarde, celle qu’en regardant on fait et celle qu’en faisant on regarde. Car il n’est pas ici question de parler sur ou d’après mais d’une forme de pensée autant sensible, manuelle, visuelle que verbale, le tout indissociablement mêlé.
« Je dirais même que la peinture se définit pour moi comme le toucher rendu visible. (…) Les mains peignent. Les yeux corrigent. Les mains peuvent soumettre une décision aux yeux, cependant les mains restent libres. Elles sont libres, car l’art de peindre dépend de leur liberté même.
Shitao, que nous avons cité déjà, prétend que l’origine de la peinture et de la calligraphie est céleste, alors que son accomplissement est humain. Peut-être faut-il associer « céleste » au sens de la vue, et « humain » au sens du toucher ? »
Au fil des pages nous croisons Goya, Soutine, Watteau, Poussin, Zhu Da, Käthe Kollwitz ou Helen Schjerfbeck, Bonnard, Manet ou Zurbaran et les dessins de John et Yves Berger. Chacun disant à l’autre « A ton tour » comme d’un regard les danseurs hip-hop juste en bas dans leur ronde s’invitent à répondre d’un mouvement, d’un rythme, d’un jeu, à poursuivre, à rejoindre ce qui a été jeté à l’aventure dans le premier pas.
John & Yves Berger, A ton tour, éditions l’Atelier contemporain, janvier 2019.
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